Copenhague ou un nouvel avenir pour le socialisme ?

« Le monde change. Faut-il alors donner un nouvel avenir au socialisme ? » , se demande Géraud Guilbert du pôle écologique du PS.

Nous sommes entrés dans un monde différent, où deux questions majeures sont posées : celle des limites à l’extension du marché, à l’empreinte écologique, à l’impact du monde virtuel, aux déséquilibres démographiques; celle du rapport entre l’individu et le collectif, dans la relation entre le Nord et le Sud, celle entre générations, ou l’impératif de mixité sociale dans le logement, l’éducation, la vision de la ville de demain avec les éco-quartiers. De toutes ces questions, l’écologie est la plus perturbante, car elle oblige à questionner le progrès.
Dans ce monde incertain et changeant, la social-démocratie est à la fois dépassée et pathétique. Elle est devenue une pensée molle, assimilée à des pratiques politiques peu efficaces, ou de compromission. On lui reproche pêle-mêle le décalage entre le discours et les actes, une vraie absence de vision et par-dessus tout la volonté de s’accrocher aux privilèges du pouvoir. Ses nombreuses défaites électorales – dont la dernière en date est celle du SPD en Allemagne – ont montré la vanité d’une stratégie d’occupation du pouvoir sans refondation idéologique. Celle-ci n’aboutirait qu’à sa disparition dans les urnes.

Le socialisme a pris dans l’histoire plusieurs formes. Il a incarné dans les années 1980 une pensée politique, des pratiques de pouvoir et l’espoir d’un monde meilleur. Il faut aujourd’hui non pas changer le socialisme, qui reste un socle majeur de représentation d’un monde qui ne se confond pas avec la libre loi de l’argent, mais changer de socialisme. Le radicalisme réformiste se doit de préserver cette vision du monde du socialisme tout en prenant en compte les défis que posent, d’une part la crise financière et plus généralement celle du capitalisme productiviste et l’épuisement des ressources fossiles de notre planète, d’autre part. Ces nouvelles problématiques imposent à notre famille politique d’inventer des réponses qui rompent radicalement avec les schémas de pensée du siècle dernier, pour qu’elles soient plus adéquates et à la fois fidèles à nos valeurs socialistes.
Ses valeurs restent plus qu’actuelles, mais elles ne peuvent plus être formulées à l’identique. Les menaces sur la planète et, à terme, sur l’espèce humaine elle-même obligent à considérer la nature non plus comme un élément extérieur à domestiquer, mais dont les équilibres représentent une composante essentielle de l’émancipation. La solidarité doit désormais prendre en compte l’objectif incontournable du respect des limites de la planète, et la prochaine conférence de Copenhague sera de ce point de vue d’une importance cruciale. La démocratie doit notamment intégrer une vraie perspective générationnelle par une meilleure prise en compte des intérêts de la jeunesse et des générations futures. Le progrès ne peut se concevoir qu’en posant le problème de la surconsommation d’une petite minorité au détriment du plus grand monde, et du gaspillage plutôt que des investissements réellement utiles et écologiquement compatibles. Il ne s’agit pas de prôner la décroissance, concept encore peu théorisé, mais de permettre de « consommer mieux », certains évoquant le terme d’ « alter-consumérisme ». Cet alter-consumérisme n’est permis que par la refonte d’un nouveau modèle de production plus démocratique, plus écologique et socialement plus juste bien sûr.

Les socialistes ont beaucoup souffert ces dernières années du décalage entre des valeurs régulièrement réaffirmées, mais de manière relativement abstraite, et d’un catalogue de propositions souvent utiles mais qui ne peuvent constituer des lignes de force produisant à elles seules du sens. Le nouveau modèle de développement fournit un cadre qui peut contribuer à cette nouvelle articulation. L’écologie doit en devenir un des principaux points d’entrée, mais, contrairement à ce que la droite prétend définir, la pensée écologique ne peut être déconnectée de la lutte contre les inégalités sociales, et cela est fondamental. Comme le montre l’exemple, pour le moins raté, de la version de la taxe carbone du gouvernement, on se condamne dans cette logique à des mesures très partielles, non acceptées car socialement injustes, et donc au bout du compte inefficaces écologiquement.

Il y a plusieurs conceptions idéologiques de l’écologie, ce qui explique qu’elle ne suffise pas en soi à définir une organisation de la société. Changer de socialisme, c’est donc se saisir pleinement du bouleversement qu’introduit le défi écologique pour définir, sur la base de ses valeurs, des contours lisibles d’un modèle de développement en rupture avec l’actuel. Cette démarche aura l’avantage supplémentaire, non négligeable, de faciliter le rassemblement indispensable de la gauche. Et Dieu sait comme « la maison commune » de gauche est clairsemée à l’aune des élections régionales. Sur ce point, l’union de la gauche me paraît absolument indispensable car chaque pan de celle-ci est complémentaire à l’autre; et si l’on veut concevoir une vision globale de notre société, nous avons besoin de l’inventivité de chacun dans son domaine. De plus, l’actualité récente montre à quel point, au-delà des mots et des brouillages, un clivage redéfini avec la droite garde une pertinence, même si tout le monde se prétend écologiste.

Un modèle de développement social et écologique exige de penser de manière beaucoup plus résolue les limites de la sphère marchande et ceci est important. Travailler plus pour gagner plus au prix de la dégradation du contenu du travail (harcèlement, stress, multiplication des suicides), étendre le travail au dimanche, injecter massivement de l’argent public pour « sauver » les banques sans aucun changement du système, ce qui va créer les conditions d’une nouvelle bulle ; ces orientations vont toutes dans le même sens, le maintien et l’extension de l’espace du marché à tous les domaines de la vie, y compris en utilisant pour cela l’argent des contribuables. Les vies ne sont pas marchandables – ai-je envie de dire – et l’humain doit redevenir le centre des préoccupations. Pour inverser la course à l’exploitation des ressources naturelles, et donc au « toujours plus » dont les plus riches impriment la marque à toute la société, il faut au contraire travailler mieux, laisser du temps et de l’espace préservé, garantir la prise en compte du long terme. Si l’on doit redéfinir la croissance et son calcul, le point de capiton doit en être la durabilité et non le court-termisme qui va de pair avec l’accumulation productiviste.

Le sommet de Copenhague s’inscrit dans la logique de la prise de conscience collective de nos problèmes. En effet, la protection de la planète concerne des biens publics mondiaux – l’eau, l’air, le climat – oblige à redéfinir l’articulation entre intérêt individuel et collectif. Des mesures ont par exemple été prises pour aider les propriétaires à isoler les logements, mais les locataires n’ont toujours pas la possibilité de déclencher eux-mêmes les travaux ! Du coup, les « passoires thermiques », où logent les plus modestes, le resteront, alors que l’espoir écologique ne doit en aucun cas être une nouvelle machine à exclure et à punir. En matière de logement comme dans d’autres domaines, une reformulation du droit de propriété est nécessaire pour le rendre compatible avec les exigences sociales et écologiques de ce siècle.

Il est enfin urgent d’admettre que ce sont les plus riches et puissants qui ont une dette écologique à l’égard du reste de la population. Aujourd’hui, ce sont les classes populaires et moyennes qui paient la transition écologique à coup de taxe, et non les catégories les plus favorisées ou les entreprises. Ces dernières bénéficient les unes du bouclier fiscal inadmissible, les autres de la suppression de la taxe professionnelle, qui asphyxie nos collectivités territoriales. Les firmes qui sont soumises au marché des droits à polluer, mais pas à la taxe carbone, vont payer, cela a été démontré, près de dix fois moins que les ménages par tonne de gaz carbonique ! Il faut faire l’inverse, ce doit être au cœur de la réforme fiscale proposée par les socialistes. La fiscalité socialement juste va de pair avec une fiscalité résolument écologiste. Il est inadmissible que la société Total, pour ne citer qu’elle, ne paie de taxe carbone quand elle importe du pétrole des raffineries irakiennes ou iraniennes pour le revendre sur le territoire national. Le coût écologique du transport des biens à travers le monde doit aussi être taxé !

Nous sommes donc face à deux défis : idéologique, car la confrontation entre la droite et la gauche sur ces nouveaux enjeux est centrale ; et de mise en œuvre, qui suppose la construction d’un nouveau rapport de force inversant les modes de domination traditionnel. C’est pourquoi nous appelons de nos vœux à la création d’une nouvelle vision socialiste. Je ne connais pas encore les contours précis de ce nouveau modèle mais j’en ai une vague idée. Ce dont je suis sûr, c’est qu’il nous demande effort et inventivité intenses. Nous devons sortir des oppositions traditionnelles entre capitalisme et anticapitalisme. Cette vision devrait reposer sur une pensée en profondeur de l’évolution du capitalisme articulant le social et l’écologie, et une économie « ré-humanisée » fondée sur des échelles de temps longues.

Notre action doit aussi se concevoir au niveau mondial et le sommet de Copenhague constitue une incroyable opportunité pour voir émerger une gouvernance mondiale qui puisse agir dans le sens que nous voulons.

Nabil Janah

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